Décision de la Cour d’appel qui fait mal aux entreprises : les Villes peuvent maintenant percevoir la taxe foncière sur les équipements

Le 26 mai dernier la Cour suprême du Canada[1] a rejeté la permission d’en appeler la décision de la Cour d’appel[2]. La décision de la Cour d’appel est donc finale et a un impact majeur sur le domaine fiscal municipale touche les équipements des entreprises.

Les deux dossiers mettent en cause la notion d’immobilisation par attache d’un bien meuble au sens de l’article 1 de la Loi sur la fiscalité municipale[3] (ci-après « LFM »). Dans les deux cas, il s’agissait de déterminer si des équipements servant à l’hébergement de serveurs informatiques sont des meubles « attachés à demeure » à l’immeuble dans lequel ils se trouvent.

Le Locoshop Angus, qui loue une partie de son espace à Ubisoft, se bat depuis 2012 pour empêcher la Ville de Montréal de taxer l’équipement installé par son locataire et d’augmenter la valeur foncière de son immeuble.

Locoshop Angus désirait porter la décision en Cour suprême, mais leur demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême a été rejetée le 26 mai dernier.

La décision de la Cour d’appel étant finale, elle a donc pour effet de faire doubler ou tripler du jour au lendemain la valeur foncière des immeubles commerciaux touchés – et le compte de taxes aussi, comme le constatent déjà certains propriétaires d’immeubles qui abritent des équipements de toutes sortes.

Arrêt de grande ampleur pour les entreprises

L’incidence de cette décision du tribunal est majeure, et son champ d’application ne se limite pas aux centres de données. C’est une nouvelle taxation qui peut s’étendre au secteur des télécoms, aux banques, aux épiceries, aux cliniques de radiologie et aux centres dentaires, à toutes les entreprises qui ont investi ou veulent investir dans de l’équipement.

Ce jugement est d’une très grande ampleur pour les entreprises. Ce sont des milliers de dollars qu’ils devront payer aux municipalités chaque année à titre d’impôt foncier, ajouté à ce qu’ils payent déjà. À long terme, cette augmentation de la facture foncière pourrait potentiellement nuire à l’installation des entreprises au Québec.

Si vous croyez votre entreprise touchée par cet arrêt ou vous voulez en apprendre davantage sur ses impacts, n’hésitez pas à communiquer avec l’équipe de Beauregard Avocats.

Si vous désirez en apprendre davantage sur la décision de la Cour d’appel, nous vous invitons à poursuivre votre lecture.

Résumé de l’arrêt de la Cour d’appel

La Cour d’appel du Québec[4] a donné raison à la Ville de Montréal contre les propriétaires d’immeubles loués au Groupe iWeb et à Ubisoft.

Certains équipements installés par ces locataires, comme les génératrices et les systèmes de refroidissement, font partie de l’immeuble et peuvent donc être assujettis à la taxe foncière.

La qualification d’immeuble

La Cour d’appel utilise un test a été développé dans l’arrêt Laurentienne[5] pour qualifier l’immeuble, un exercice qui se fait en deux temps :

  1. L’objet est-il attaché?
  2. L’objet est-il attaché à perpétuelle demeure?

Un objet est attaché s’il est retenu à un immeuble par un lien quelconque (à l’exclusion du filage électrique ou de la tuyauterie destinée à en assurer le fonctionnement) ou s’il est placé de façon à être immobilisé (ne pouvant être enlevé sans être démantelé ou sans fractionner l’espace dans lequel il est placé).

Un bien est attaché à perpétuelle demeure, soit au moyen d’une présomption réfragable, soit par le constat d’un lien intellectuel. La présomption s’applique lorsque le bien est lié à l’immeuble par nature au moyen d’une attache matérielle ou s’il ne peut être enlevé sans être démantelé ou sans briser la composante de l’immeuble par nature à laquelle il est relié. Il existe un lien intellectuel lorsque l’immeuble sur ou dans lequel le bien est installé devient incomplet en l’absence de ce bien. Le bien n’a pas à compléter l’immeuble au point d’en faire partie intégrante et de perdre son individualité.

Conclusion de la Cour d’appel

La Cour d’appel conclut dans les deux dossiers que la Cour du Québec (tribunal responsable des appels des décisions du Tribunal administratif du Québec, section des affaires immobilières), commet une erreur :

« [145] […] en concentrant son analyse sur la notion de bâtiment à vocation spécifique. Il se base sur le caractère polyvalent des immeubles pour conclure que les lieux loués par Ubisoft ne deviendraient pas incomplets en l’absence des équipements. Si l’on suit ce raisonnement, un meuble attaché à un immeuble à vocation générale ne pourrait jamais être considéré comme attaché « à demeure ». En effet, puisqu’un tel immeuble, par définition, peut servir à plusieurs usages, il ne deviendrait jamais incomplet en l’absence de ce bien.

[146] […] ce raisonnement ne tient pas. La vocation spécifique de l’immeuble n’est pas une condition essentielle à l’immobilisation par attache d’un bien meuble. Il suffit que le bien soit nécessaire pour compléter l’immeuble ou ses composantes, en l’occurrence le plancher surélevé, le plafond suspendu et toutes les installations qui, selon le TAQ, « ont été faites pour aussi longtemps qu’une nouvelle vocation ne sera pas assignée à ces locaux »[6]. […] »

Dans le dossier Locoshop (locataire Ubisoft), il est clair pour les juges de la Cour d’appel qu’il y a un « lien intellectuel entre les équipements et la partie de l’immeuble qui sert de site d’hébergement de serveurs informatiques »[7]. Or dans le dossier IMSO (locataire iWeb), les juges estiment que la Cour supérieure a fait une lecture erronée de la jurisprudence portant sur la notion d’immobilisation par attache d’un bien selon l’article 1 de la LFM. L’absence d’une attache physique n’est pas déterminante : l’immobilisation peut permettre d’établir l’existence d’une attache. En outre, il peut y avoir immobilisation par attache d’un bien meuble relativement à un immeuble à vocation générale, et en présence de plusieurs locataires.


[1] Société en commandite Locoshop Angus, et al. c. Montréal (Ville de), et al., 2022 CanLII 42895 (CSC) (voir : https ://www.canlii.org/fr/ca/csc-a/doc/2022/2022canlii42895/2022canlii42895.pdf).

[2] Montréal (Ville de) c. Société en commandite Locoshop Angus, 2021 QCCA 1217 (voir : https://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2021/2021qcca1217/2021qcca1217.pdf).

[3] Loi sur la fiscalité municipale, RLRQ, c. F-2.1.

[4] Voir note 2.

[5] Québec (Ville) c. Corporation d’assurance de personne la Laurentienne, 1995 CanLII 5307 (QC CA) (voir :https://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/1995/1995canlii5307/1995canlii5307.pdf).

[6] Voir note 2, par. 145 et 146.

[7] Id., par. 150