Expropriation déguisée du boisé des Hirondelles: le droit de propriété et l’absence d’utilisation raisonnable d’un terrain
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Publié par Me Camille Ingarao
Ce mois-ci, dans Sommet Prestige Canada inc. c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville, la Cour supérieure a rendu une décision concluant à l’expropriation déguisée des Demanderesses tout en confirmant l’application de l’arrêt de la Cour suprême du Canada rendu le 21 octobre 2022, Annapolis Group Inc. c. Municipalité régionale d’Halifax (ci-après « Annapolis »), au droit québécois.
Dans la décision Sommet Prestige Canada inc., les Demanderesses, propriétaires d’un terrain de 6 hectares appelé « le boisé des Hirondelles » et zoné résidentiel, avaient comme projet de subdiviser les lots pour ériger une trentaine de propriétés. Après plusieurs années de rencontres et d’échanges collaboratifs entre les parties, une entente relative à des travaux municipaux avait été convenue, la Ville avait procédé à des modifications réglementaires en vue du projet, et les Demanderesses avaient déposé un plan de lotissement.
Toutefois, à la suite d’une opposition citoyenne et d’élections municipales, le nouveau conseil et le nouveau maire, formellement opposés au projet des Demanderesses, ont posé plusieurs gestes pour y mettre terme, dont notamment modifier la réglementation d’urbanisme applicable au terrain des Demanderesses, afin d’identifier le boisé des Hirondelles comme « milieu naturel protégé ». Ainsi, malgré l’affectation résidentielle du boisé, les normes d’abattage d’arbres et les conditions imposées par les règlements de la Ville ont eu pour effet d’empêcher toute utilisation raisonnable du terrain (par. 72).
À la suite d’une révision de la jurisprudence applicable en matière d’expropriation déguisée, dont notamment l’arrêt Dupras de la Cour d’appel du Québec et l’arrêt de la Cour suprême du Canada Annapolis, la Cour supérieure a tout d’abord rappelé le principe clé qu’un « demandeur alléguant subir un préjudice en raison de l’adoption d’une norme peut, à sa seule discrétion, réclamer des dommages-intérêts sans avoir à attaquer au préalable la validité de la norme à l’origine du préjudice allégué et qu’il peut choisir sans contrainte entre ces deux types de recours » (par. 46). Ainsi, et contrairement à ce que la Ville prétendait, les Demanderesses n’avaient « pas à obtenir ou rechercher la nullité ou l’invalidité de la réglementation pour réclamer [leur] indemnisation » (par. 56).
Afin d’obtenir leur indemnisation, les Demanderesses devaient donc démontrer que les effets de la réglementation équivalaient à une expropriation déguisée. La Cour supérieure a notamment retenu de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Annapolis que « si la réglementation supprime toutes les utilisations raisonnables de l’immeubles, il y a expropriation déguisée » (par. 61), et que ce principe étant une autorité pour les tribunaux inférieurs, il s’applique au droit québécois en la matière (par. 69). En l’espèce, l’effet de la réglementation sur le terrain permettait seulement des usages de parc, de piste cyclable, d’érablière ou de sylviculture, ce qui ne représentait pas du tout une utilisation raisonnable du terrain surtout considérant le zonage résidentiel (par. 75).
Par conséquent, même si la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme permet aux municipalités de régir les usages pouvant être exploités sur son territoire et que le droit de propriété n’est pas absolu, le pouvoir de réglementer ne peut prohiber tout usage raisonnable sans aucune indemnité, le droit de propriété constituant l’une des colonnes de notre système de justice (par. 84).
Nous soulignons que la Ville prévoit porter en appel cette décision. À suivre…
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