Expropriation déguisée à Mascouche – la Cour d’appel confirme le jugement de la Cour supérieure et condamne la Ville
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Publié par Me Camille Ingarao
Le 16 mars dernier, la Cour d’appel s’est prononcée dans l’arrêt Dupras c. Ville de Mascouche[1] à l’égard d’une expropriation déguisée visant un lot faisant l’objet d’un zonage « conservation » à la suite d’une modification réglementaire entreprise par la Ville de Mascouche (ci-après la « Ville »). La Cour d’appel a condamné la Ville à verser une indemnité à la propriétaire en concluant à l’existence d’une expropriation déguisée, bien que le règlement restrictif ait été adopté plus de 10 ans suite au dépôt du recours par la propriétaire.
Les faits
Les faits sont simples. Lors de l’acquisition du lot en 1976, celui-ci est boisé et se situe dans une zone permettant un usage résidentiel sur 70 % du lot. À partir de 1985, le propriétaire conclut une entente prévoyant l’aménagement d’une piste de ski de fond par la Ville. Toutefois, le 5 septembre 2006, la Ville modifie le zonage sur la totalité du lot pour que le seul usage qui y soit autorisé soit celui de « conservation », ayant pour conséquence l’interdiction de toute construction.
En 2008, la propriétaire prend connaissance de cette modification de zonage et entreprend des discussions avec la Ville pour soit modifier le zonage, soit que la Ville achète le lot. La Ville fait plusieurs représentations privées et publiques laissant croire à la possibilité d’une éventuelle acquisition du lot. Ce n’est que le 8 février 2016 que la Ville informe le propriétaire qu’elle n’entend pas acquérir le lot en question.
Décision confirmée par la Cour d’appel
Dans son arrêt, la Cour d’appel confirme que les gestes posés par la Ville constituent une expropriation déguisée, notamment en ce que le règlement de 2006 privait la propriétaire de toute utilisation raisonnable de son terrain. La Cour d’appel souligne que bien que la Ville ait le pouvoir d’adopter des règlements restrictifs en vue de gérer et protéger l’environnement (milieux humides, couvert forestier etc.), ce pouvoir ne lui permet pas de prohiber tout usage du sol et ne la dispense certainement pas de son obligation légale d’indemniser le propriétaire foncier qui en voit son droit sévèrement atteint[2].
Tout en citant un texte publié par Beauregard avocats en 2017[3], la Cour d’appel confirme que « c’est une erreur de conclure qu’il ne peut y avoir d’expropriation déguisée lorsque la Ville a le pouvoir d’adopter le règlement restrictif » (par. 37).
De plus, la Cour d’appel intervient quant au point de départ de la prescription, en rappelant les enseignements de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Lorraine (Ville de) c. 2646-8926 Québec inc.[4], selon lesquels une cause d’action ne peut se cristalliser lorsque les gestes posés par la Ville entretiennent « l’espoir raisonnable, voire une attente légitime, d’un changement de zonage ou d’une expropriation en bonne et due forme » alors que ce n’est pas le cas[5]. En l’espèce, c’est la date du 8 février 2016 qui marque le départ de la prescription triennal, soit lorsque la Ville a informé la propriétaire qu’elle ne comptait pas acquérir le lot.
Par ailleurs, bien que le règlement restrictif soit entré en vigueur en 2006, la Cour d’appel retient également la date du 8 février 2016 à titre de date d’évaluation, puisque c’est à ce moment-là que l’action s’est cristallisée. La Cour souligne le fait, qu’entre 2006 et 2016, la Ville avait affirmé à la propriétaire publiquement que le zonage résidentiel serait rétabli ou qu’elle verrait à acheter le lot; ainsi, cette date permet de tenir compte de l’entièreté de la perte subie par la propriétaire en raison de l’expropriation déguisée[6].
Pour ce qui est de la valeur du lot en date du 8 février 2016 selon un zonage résidentiel et le remboursement de taxes, des intérêts et de l’indemnité additionnelle, la Cour d’appel retourne le dossier devant la Cour supérieure, afin que celle-ci puisse se prononcer. À suivre…
Pour toute question relative en droit municipal et urbanisme, n’hésitez pas à communiquer avec l‘équipe de Beauregard Avocats.
[1] 2022 QCCA 350.
[2] Idem., par. 37 à 39.
[3] Roger Paiement et Simon Frenette, « L’expropriation déguisée : où en sommes-nous ? » (2017) 433 Développements récents en droit de l’environnement (2017), Montréal, Yvon Blais, 2017, p. 79, aux pages 105 et ss.
[4] 2018 CSC 35.
[5] Supra note 2, par. 45.
[6] Idem., par. 56.