Ville de Gatineau c. Stinson : la Cour d’appel affirme le pouvoir discrétionnaire du conseil municipal en matière de dérogation mineure

Le 7 mars dernier, la Ville de Gatineau a obtenu gain de cause en appel dans le dossier Ville de Gatineau c. Stinson, 2023 QCCA 306. Cette décision infirme la décision de la Cour supérieure qui annulait une résolution autorisant une dérogation mineure et ordonnait la destruction d’une résidence imposante connue dans les médias comme étant le 79, rue Fraser.

79, rue Fraser à Gatineau. Source : Google Maps

Les faits remontent en 2013, lorsque le service d’urbanisme de la Ville de Gatineau (ci-après la « Ville ») délivre un permis de construction non conforme pour la construction d’une résidence. Conformément au permis de construction délivré au propriétaire, M. Molla, la résidence est implantée avec une marge avant dérogeant à la réglementation municipale. À la suite de la découverte de cette erreur, quelques mois plus tard, alors que les travaux de construction étaient toujours en cours, le Conseil consultatif d’urbanisme (ci-après le « CCU ») recommande l’octroi d’une dérogation mineure pour régulariser la situation. En 2014, le Conseil de la Ville adopte la dérogation mineure, résolution ne convenant ni aux voisins de M. Molla ni à M. Molla lui-même, ce dernier proposant à la Ville de démolir sa résidence en échange d’une compensation. Les voisins de M. Molla entreprennent alors un recours en pourvoi en contrôle judiciaire contre la Ville pour annuler la résolution autorisant la dérogation mineure et ordonner la démolition de l’immeuble.

Jugement de la Cour supérieure

En 2021, la Cour supérieure exerce son pouvoir de contrôle en examinant la légalité de la résolution adoptée par le Conseil de la Ville et en rendant un jugement annulant la résolution autorisant la dérogation mineure et ordonnant la démolition de la résidence.

Dans son analyse, l’Honorable Michel Déziel, j.c.s., rappelle les critères cumulatifs à respecter en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ c. A-19.1 (ci-après la « LAU ») pour l’octroi d’une dérogation mineure et note qu’à la lumière du rapport d’analyse du CCU, les critères relatifs au préjudice sérieux du demandeur ainsi qu’à l’atteinte à la jouissance du droit de propriété des voisins ne respectent pas l’article 145.4 al.2 LAU (par. 232 à 235). Par conséquent, la Cour juge que la dérogation ne peut être considérée comme étant mineure, la qualifiant plutôt de majeure (par. 272), et indique que celle-ci a une fin impropre, soit de corriger l’erreur d’un fonctionnaire municipal afin d’éviter une potentielle action en dommages et intérêts contre la Ville (par. 224 et 258 à 260).

Arrêt de la Cour d’appel

Cette décision, renversée par la Cour d’appel le mois dernier, a été portée en appel par la Ville pour deux motifs : (1) l’interprétation erronée de l’article 145.4 al.2 LAU et l’omission de considérer l’ensemble de la preuve et (2) l’erreur dans l’application de la norme de contrôle.

Concernant le premier motif, la Cour d’appel donne raison à la Ville et estime que le juge de première instance a erré dans l’appréciation des critères prévus à l’article 145.4 al.2 LAU concernant l’analyse du préjudice sérieux et l’atteinte potentielle de la dérogation mineure sur la jouissance des propriétaires des immeubles voisins. Dans le cadre de l’analyse du critère du préjudice sérieux de l’article 145.4 al. 2 de la LAU, l’Honorable Sansfaçon, j.c.a., indique qu’il faut déterminer si « l’application du règlement a pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui le demande » et plutôt que d’analyser si la dérogation mineure cause un préjudice sérieux à la personne qui la demande (par. 204 et 250-254). La Cour d’appel conclut que l’application du règlement cause un préjudice sérieux à M. Molla, considérant les impacts financiers d’une potentielle démolition (par. 45 à 48).

En ce qui concerne l’analyse du deuxième critère, soit l’atteinte potentielle de la dérogation sur la jouissance du droit de propriété des voisins, la Cour d’appel conclut également que la Cour supérieure a erré dans l’appréciation de ce critère.

En effet, la prémisse du juge de première instance repose sur le fait que l’omission d’une analyse préalable sommaire par les fonctionnaires municipaux relative à l’octroi de la dérogation mineure vicie l’ensemble du processus, les agissements du service d’urbanisme n’ayant que pour seule motivation d’éviter une potentielle demande en dommages et intérêts (par. 52). La Cour d’appel juge erronée cette prémisse (par. 66 à 71) puisque le juge de première instance écarte une partie importante de la preuve en ne considérant pas les événements entre le dépôt de la demande de dérogation mineure et son octroi, dont notamment l’entrée en poste d’un nouveau conseil et les efforts de celui-ci pour analyser la demande de dérogation mineure (par. 70).

Par ailleurs, la Cour d’appel conclut que la perte d’ensoleillement en cour avant subie par les voisins de M. Molla ne constitue pas un inconvénient anormal atteignant la jouissance du droit de propriété de ces derniers et juge que les autres inconvénients énumérés, à savoir la perte d’intimité, la perte de vue, la taille imposante du bâtiment s’avèrent impertinents puisqu’ils sont des éléments étrangers à l’empiétement dans la cour avant (par. 122 à 127).

Concernant le deuxième motif d’appel de la Ville, la Cour d’appel rappelle que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable et réitère que les tribunaux doivent faire preuve de déférence à l’égard du processus décisionnel des élus municipaux et s’abstenir d’usurper les fonctions confiées à ces derniers (par. 128 à 129). La Cour rappelle également que cette obligation incombe par ailleurs au Conseil et non aux fonctionnaires municipaux ou au CCU (par. 62 et 98).

Il faut retenir de cet arrêt que l’analyse d’une dérogation mineure revêt un caractère discrétionnaire tributaire des faits propres à chaque espèce et que les tribunaux font preuve généralement d’une retenue judiciaire dans ces dossiers.

Notre équipe demeure toujours disponible pour répondre à vos interrogations concernant les dérogations mineures et à toute problématique en droit de l’urbanisme et l’aménagement du territoire.

Par Me Camille Savard

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